LE VOISINAGE; UN MIROIR ESSENTIEL

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Les limites et la définition du voisinage changent en fonction du temps et de l’espace. La ville et l’architecture d’aujourd’hui ont complètement changé la définition et la nature du voisinage.

Hélène L’Heuillet dit que le lien de voisinage est un lien horizontal (H. L’Heuillet, Du voisinage/ Réflexions sur la coexistence humaine, Trad. : Adem Beyaz, YKY, 2019, Istanbul, p. 19). Dans le lien horizontal, les relations d’amitié sont préservées, l’union entre les individus est maintenue et il n’y a pas de place pour la hiérarchie. Dans un lien vertical, les revenus, le statut, les idéologies, les vêtements et les modes de vie des voisins sont prioritaires dans l’établissement des relations de voisinage. Dans le mode de vie adopté par le lien vertical, la personne agit selon sa propre classification même en matière humanitaire comme aider, partager et parler. Par exemple, il aide son voisin qui correspond à son niveau de vie. L’architecture verticale crée des blocs de voisinage, sans aucun voisin. Bien qu’il y ait une proximité physique dans cette forme de voisinage, il n’y a pas de proximité telle que l’amour, la douleur, la joie, la fraternité, la camaraderie, la solidarité, le partage des besoins matériels ou spirituels. Les gens sont suffisamment proches pour se tenir côte à côte, se toucher et se voir, mais ils sont éloignés les uns des autres dans l’esprit.

Notre côté humain se manifeste dans notre sens des responsabilités envers nous-mêmes et envers les autres. Pour ceux qui respectent la loi du voisinage, le fardeau du voisinage n’empêche pas la fraternité entre eux. Ce sont les expériences vécues ensemble qui rapprochent les gens et les réchauffent.

Le voisin est un miroir ; tout comme il permet de voir les autres il permet de se voir plus facilement dans les autres.

Participer sincèrement à la souffrance et à la détresse d’une personne nous fait mûrir. En ce sens, le voisinage est une situation qui se vit à l’intérieur de la maison et non à l’extérieur de la maison. Le voisinage permet de garder la conscience de commencer par le plus proche.  Le proche ne peut pas être sacrifié à celui qui est loin, mais une personne a le devoir d’atteindre l’endroit où sa main parvient et sa parole touche. Pouvoir pénétrer le monde de quelqu’un nécessite une relation avec lui. On ne peut entrer dans le monde de quelqu’un sans un partage de sentiment. Avec autrui, notre monde spirituel s’élargit et s’embellit. Celui qui ne trouve personne d’autre beau que lui-même tombe dans le tourbillon du narcissisme et paralyse son âme en considérant que tout lui appartient. Le voisinage, c’est appréhender l’existence d’autres que nous-mêmes, non pas avec un regard extérieur mais avec un regard intérieur. Nuri Pakdil souffrait de son voisin qui le dérangé les matins par le bruit des coups de marteau. De peur de le blesser en disant qu’il était gêné par ce bruit il décida d’écrire un mot et le glissa dans sa boîte aux lettres : « Cher monsieur. -Parfois, -les samedis, dimanches- ces sons de martèlement qui descendent jusqu’en bas sont très harcelants. Je présente la situation à votre attention et à votre tolérance. Salutations sincères.” (Nuri Pakdil, Tour de la Littérature, p. 34). Ce comportement gracieux est un excellent exemple aux règles de bon voisinage et au style requis pour communiquer avec un voisin. Le voisinage nécessite le développement d’un langage humain unique.

Le concept du voisinage gagne de nouvelles significations selon le temps et l’espace. Nos voisins sont les personnes avec qui nous travaillons au travail ou celles qui se trouvent dans la pièce voisine ou opposée. Un roman que nous lisons, un écrivain avec qui nous partageons les mêmes sentiments ou sommes en désaccord avec nos pensées, devient notre voisin pour un laps de temps. Parfois, quelqu’un qui est loin de nous et qui nous comprend devient notre voisin le plus proche. Parfois, une personne ne peut s’intégrer à aucun endroit et elle ne se sent à sa place nulle part. Dans ces moments-là, on a des voisins imaginaires. Passer du temps avec des voisins imaginaires conduit à la solitude. Cette solitude est une promenade en soi. Celui qui revient de cette solitude ne peut plus être comme avant. Son regard est plus sensible et humain qu’avant.

Yaşar Kemal, dans son roman Alors, les oiseaux sont partis, se plaint de la perte de profondeur spirituelle humaine et de l’oubli de l’humanité. Nous pouvons atteindre la profondeur/l’essence spirituelle de l’homme en la travaillant intérieurement. Cependant, aucun de nous n’a le temps de déchiffrer ou de comprendre la profondeur intérieure de l’autre. Tout notre temps est réglé pour nous-mêmes, toutes les horloges sont réglées pour notre propre travail. Dans un tel mode de vie y a-t-il de la place pour nous et pour les autres? Où est le voisinage dans ce mode de vie ?

Hatice Ebrar AKBULUT